Une bulle de temps

Peut-on s'arrêter de photographier ? Aujourd'hui, prendre une photo n'est plus un problème. Il suffit de sortir son smartphone et clic, c'est dans la boîte ! Les photos s'empilent sur la carte mémoire sans qu'on ait besoin de gérer quoi que ce soit.

Même si j'utilise un appareil-photo, j'accumule moi aussi les images numériques, multipliant les prises de vues par peur de passer à côté d'un motif ou de rater un cliché. Du coup, il m'est difficile d'être totalement présent à ce que je vis, pris par l'habitude de cadrer mentalement, et la culpabilité de ne rien faire.

En automne dernier, je me promenais dans la forêt de Monfort-sur-Risle, le lieu de mes toiles de Forêts. La saison de la chasse avait débuté. Je portais un gilet fluorescent pour éviter de prendre un plomb. Malgré le danger, je désirais explorer une zone où je n'étais jamais allé, une parcelle plantée de jeunes pins. Au milieu des arbres dépassant à peine 3m, marchant par les allées envahies de fougères, j'espérais rencontrer des animaux.

Mon attente ne fut pas déçue. Après avoir réveillé un gros sanglier qui fila comme un boulet de canon, je rencontrais un jeune chevreuil, aussi surpris que moi, au milieu de l'allée. Tombés en arrêt à 5 m l'un de l'autre, nous nous fixâmes mutuellement du regard. J'étais pétrifié.

Immédiatement, je pensais le prendre en photo. Pour cela, il me fallait baisser mon bras droit lentement puis glisser ma main dans la poche de mon pantalon pour en extraire mon téléphone portable. La succession des gestes risquait cependant d'effrayer le jeune promeneur. Finalement, je décidais de ne rien tenter et de savourer pleinement cette apparition.

Le temps était suspendu. Nous nous regardions sans nous lasser. Je lui murmurais cependant qu'il n'était pas prudent pour lui de se laisser subjuguer par mes semblables, surtout ceux qui possèdent un fusil. Un instant, il jeta un œil devant lui - sa mère sans doute n'était pas loin - puis il revint à sa contemplation. Enfin, après une éternité, il reprit sa foulée tranquille, disparaissant dans les fourrés.

C'est alors que je découvris que mes mains reposaient sur mon appareil photo, suspendu en bandoulière. Je remerciais ma conscience d'être restée muette, me permettant de vivre intensément cette bulle de temps fragile, de la fixer dans ma mémoire plutôt que sur une carte-mémoire. Chaque peinture de Forêt est une bulle de temps. Savourer l'instant pour accéder aux Forêts en cliquant sur ce lien, c'est comme si un jeune chevreuil allait surgir !

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